Faut-il louer son progiciel ?
Le mot “ progiciel ” est le résultat de la contraction de “ produit ” et “ logiciel ”. Ce rapprochement du logiciel et du produit industriel tend à faire du progiciel un bien d’équipement immobilisable dans le bilan de l’entreprise, mais n’a pas empêché que l’on prévoit, depuis quelques années, sa commercialisation sous forme de location, tout du moins sous une autre forme que la cession d’un droit d’usage.
Mais aujourd’hui le progiciel se facture encore comme une cession de droit d’usage et non pas comme un service ou une location. Les sociétés qui les produisent et les commercialisent ne s’appellent plus SSII (société de service) mais éditeurs de logiciels. Pourtant la location du logiciel pourrait enfin devenir une alternative voire le nouveau mode de commercialisation des progiciels, notamment à cause de l’euro et de l’an 2000.
La tarification des versions compatibles euro et an 2000
Très tôt s’est posée la question du règlement de la facture des importants développements pour rendre les logiciels compatibles euro et an 2000. Pour l’an 2000 le débat semblait simple, la non compatibilité a été vite reconnue comme une anomalie ou correction gratuite par les acteurs du progiciel.
L’euro, pour sa part, ne constitue pas et ne constituera pas une obligation légale pour l’éditeur. Mais il semblerait pourtant que, sur ce point, le souci de conserver leur base installée ait prévalu sur d’autres considérations et expliqué la politique adoptée par plus de trois éditeurs de logiciels sur quatre de ne pas facturer les nouvelles versions compatibles euro et de les mettre à disposition gratuitement dans le cadre des contrats de maintenance.
La décision peut paraître généreuse de la part des éditeurs mais elle est juste d’un point de vue économique et va dans l’intérêt de tous. L’euro et l’an 2000 vont en effet obliger un grand nombre d’entreprises à mettre à jour leur informatique de façon drastique. Pour certaines de ces entreprises, il faudra acquérir de nouveaux progiciels en remplacement de leurs logiciels spécifiques ou anciens logiciels non maintenus. Pour les autres il faudra s’assurer de disposer d’un contrat de maintenance et installer la dernière version de leur progiciel.
Ce dernier aspect a justifié à lui seul la gratuité de la mise à jour. L’hétérogénéité des bases installées des éditeurs de logiciels est telle que leur maintenance représente un coût très élevé. La source la plus stable de revenu d’un éditeur (redevance de maintenance) est ainsi aujourd’hui la moins rentable. Le renouvellement et l’homogénéisation du parc informatique dus à l’euro devraient alléger ce coût de maintenance et d’assistance téléphonique. Les éditeurs l’ont anticipé et ont été prêts à en payer le prix en prenant à charge le développement des versions compatibles euro, si les entreprises sont, pour leur part, assez sage de mettre à jour leur informatique plus régulièrement.
De nouvelles raisons de préférer le progiciel
Car les entreprises devront prendre l’habitude de mises à jour plus régulières. Pour avoir une idée juste de l’importance de l’euro sur le secteur de l’édition du logiciel, il faut l’analyser à travers ses conséquences à moyen terme et non pas seulement dans ses aspects fonctionnels à court terme. La monnaie, dernière principale barrière entre les Etats membres, une fois tombée, entraînera dans sa chute les autres barrières restantes. On peut donc s’attendre à une décennie de réformes qui se succéderont à un rythme élevé et tendront à rapprocher les réglementations comptables, sociales et fiscales des Etats membres et réaliseront le vrai marché unique.
Installer une version compatible euro en 1999 ou plus tard en 2001 ne réglera pas définitivement la question de l’euro dans le système d’information des entreprises. Cela ne constituera qu’un premier pas. Un progiciel compatible euro au 1er janvier 1999 ou au 1er janvier 2002, ne le sera plus nécessairement au 1er janvier 2003 ou 2005. A cette date, la compatibilité euro d’un logiciel se mesurera à sa capacité à s’adapter à l’harmonisation des règles européennes, et non plus seulement à l’utilisation d’une nouvelle unité de compte pour la comptabilité ou la trésorerie.
Tout cela joue en faveur du progiciel. Dès 1999, il s’agira pour l’entreprise de mettre à niveau son système d’information à chaque nouvelle réforme, à commencer par la prise en compte d’une nouvelle monnaie au 1er janvier 1999, puis par celle de l’harmonisation des règles comptables, fiscales et sociales qui suivra.
Le rythme de mise à jour des logiciels devra devenir annuel dans les entreprises. Il est aujourd’hui en moyenne, pour un logiciel de comptabilité, d’une mise à jour tous les trois ans pour une grande entreprise, tous les six ans pour une petite ou moyenne entreprise. Ces mises à jour deviendront plus fréquentes et ajouteront aux avantages d’une solution progiciel qui offrira, en plus de son coût réduit d’acquisition et d’installation, celui de disposer régulièrement de versions de mise à jour compatibles avec les dernières réformes.
Qu’est-ce qui caractérise un progiciel (logiciel standard) ?
Il ressort de cette analyse que l’avantage d’un utilisateur dans le choix d’un progiciel n’est pas tant la production standard à grande échelle (cela est l’avantage de l’éditeur qui baisse ses coûts et peut ou pas en répercuter la baisse sur les prix) mais la garantie d’une mise à jour régulière. Celle-ci est un service de l’éditeur assurant ainsi une capitalisation de l’expertise du métier dans le progiciel et cela à chaque changement des réglementations ou des usages.
L’exigence de l’euro ne joue donc en faveur du progiciel que si celui-ci est accompagné de mises à jour. C’est la mise à disposition régulière de nouvelles versions qui constitue l’intérêt du progiciel et le définit mieux encore que son mode de production industriel. En d’autres termes, le progiciel n’est pas une simple immobilisation et le vocabulaire “ licence d’utilisation ” utilisé pour l’acquisition d’un progiciel (terme contractuel pour la vente de progiciels) sous-entend bien la mise à disposition d’un service. La forme tangible de ce “ service ” (disquettes ou cédérom de mise à jour) ne doit pas faire oublier que l’éditeur vend et met à jour régulièrement son savoir-faire en matière d’automatisation de la gestion de l’entreprise à travers une redevance de maintenance.
A titre d’anecdote, sur un nouveau marché comme celui des logiciels de crédit client, le CXP dénombrait 15 progiciels. En imposant comme critère du progiciel un nombre suffisant d’exemplaires installés (plus de 10) on arrivait à 13 progiciels. En appliquant celui d’une mise à jour au moins tous les 2 ans, on arrivait à 3 progiciels (les autres logiciels n’avaient pas connus de mise à jours depuis 3 ans, ce qui est anormal pour un nouveau marché pour lequel les spécifications sont nécessairement fluctuantes et en cours d’établissement).
Un progiciel se distingue d’une solution spécifique, plus par la mise à jour régulière prise en charge par l’éditeur, que par le nombre de sites installés.
La relation entre utilisateur et éditeur
Les changements comme l’euro ou l’an 2000 vont confirmer l’intérêt de la maintenance des progiciels et favoriser la contractualisation de la relation entre le fournisseur de progiciel et son utilisateur en un contrat de maintenance assorti d’une redevance annuelle ou trimestrielle. Plus les besoins des utilisateurs évolueront rapidement, plus le prix d’acquisition (licence d’utilisation) deviendra moins significatif que le prix de la redevance de maintenance.
Même si cette tendance n’est pas aussi spectaculaire que l’annonce d’une mise en location du progiciel, elle revient pratiquement au même. En 6 ans d’utilisation (qui est la durée de vie moyenne d’une solution progiciel dans l’entreprise), une entreprise aura payé jusqu’à deux fois le prix d’acquisition en redevance de maintenance. Et la tendance s’accentue aujourd’hui. Il s’agit d’une location qui ne s’avoue pas encore.
Le prix de la maintenance
Dans les années 80 la redevance de maintenance se situait entre 8 et 10% du prix de la licence d’utilisation du progiciel. Le prix du logiciel dépassait souvent les 200 000 francs, y compris pour les PME.
Quelques années plus tard, dans les années 90, la redevance de maintenance dépassait souvent les 15%.
En 1999 une PME paiera sa redevance de maintenance 25% du prix de la licence d’utilisation du progiciel, une TPE la paiera de 33% à plus de 50%.
Entre temps les prix des licences d’utilisation des progiciels sont tombés entre 10 et 20 000 francs pour un PME, moins de 1 000 francs pour une TPE. |
L’exemple du secteur des PME est probant. Les PME sont fortement consommatrices de progiciel en informatique de gestion pour leur faible coût et l’expertise métier qu’ils capitalisent. Un acteur significatif de ce marché, Sage, éditeur de logiciels de gestion comptable, financière et paie, connaît depuis 1998 une très forte croissance des ventes contrats de maintenance lors de la vente d’un progiciel.
Avant 1997, seules les grandes entreprises et grosses PME contractaient quasi systématiquement un contrat de maintenance avec l’achat d’un progiciel (4 sur 5). Parmi les TPE et PME le taux étaient inverse (1 sur 5). Depuis 1998 ce dernier taux a pratiquement rejoint celui des grandes entreprises (4 sur 5). Cet éditeur a triplé les effectifs de son service d’assistance téléphonique pour y faire face.
Toujours selon des sources Sage, 55% de la base installée de cet éditeur, composée essentiellement de PME, a fait l’objet d’une mise à jour Euro et An 2000, depuis septembre 1998 jusqu’à février 1999. Il est probable que cela se systématise à l’avenir comme cela est déjà le cas pour les logiciels de paie et de fiscalité dont les mise à jour sont bi-annuelles.
De nouvelles formes de commercialisation des progiciels
L’euro pourrait même favoriser d’autres formes de vente du logiciel. Après la systématisation de la redevance, pourraient apparaître le location du logiciel au temps passé et se développer aussi l’infogérance applicative.
Mais l’euro et l’an 2000 ne seront pas les seuls leviers. Le proche avenir de l’informatique, notamment la généralisation des réseaux publics et privés, va probablement accentuer cette tendance. Il devient à présent techniquement et économiquement possible de répartir les applicatifs, tâche par tâche, sur plusieurs sites distants, dans une même entreprise, entre ses différentes établissement et aussi entre l’entreprise et ses prestataires. L’universalité de fait du protocole IP (Internet) rend possible à moyen terme l’interconnexion des systèmes d’information des entreprises de toutes tailles.
Aussi depuis quelques temps on pronostique que l’avenir du logiciel de gestion est peut-être dans les Centres de traitement assurant la gestion comptable et la paie de centaines de PME et plus particulièrement des TPE. On retrouverait alors, du côté de l’entreprise, des postes clients simples et universels (un navigateur dans le cas d’une solution de type Internet ou Intranet). Ce poste client serait suffisant pour les tâches de consultation et aussi de saisie de données en possession de l’entreprise et alimentant la tenue de la comptabilité générale ou de la paie. Même si ces visions restent encore un peu théoriques, l’externalisation de la gestion de la l’entreprise est déjà une réalité dont bénéficie par exemple la profession des experts comptables. Ceux-ci trouveront sans aucun doute, dans Internet, la solution pour rendre celle-ci plus efficace et plus accessible à leurs clients. Ces derniers, à l’aide de postes client universels pourraient consulter à tout moment les données de leur entreprise.
Si un telle tendance se confirme, il deviendra plus difficile de facturer la partie logiciel cliente installée en raison de sa faible valeur ajoutée. Seule la facturation du service effectivement apporté à travers le traitement externalisé de la gestion ne pourra se faire que sur la base d’un abonnement ou d’un paiement à l’acte ou temps passé.
De nouvelles politiques d’achat
Tout cela tendra à modifier la politique d’achat de solutions informatiques par les entreprises. L’enjeu de la solution ne portera plus sur ce qui est installé dans l’entreprise, mais sur la capacité du fournisseur à assurer la pérennité et le suivi de la gestion comptable et administrative de l’entreprise.
Paradoxalement et à l’inverse de l’habitude, ce sont les PME qui devraient rapidement profiter de cette nouvelle tendance. En effet les solutions informatiques qu’elles utilisent sont plus proches de produit standard que les ERP des grandes entreprises dont l’importance des coûts d’installation et de personnalisation limitent beaucoup la facilité et l’intérêt de mises à jours fréquentes. C’est donc chez les PME, plus habituées à acheté “ du standard ”, que la notion de location trouvera probablement écho. Les grandes entreprises semblent pour leur part s’intéresser à l’infogérance matérielle et applicative qui est sans doute un autre habillage économique du même concept : acheter une expertise métier vivante, quelque soit sa forme, plutôt que du “ code ” de développement.
Romain Hugot
Source : Le guide Euro de l’Informatique et des Systèmes d’information de Romain Hugot, aux Editions d’Organisation, janvier 1999
CV de l’auteur de l’article : Directeur de projet Euro chez Sage France, il a débuté sa carrière dans les télécommunications. Il la continue en informatique dans les fonctions de consultant, puis de responsable du développement de logiciels pour grandes entreprises. Il entre dans le monde des PME en intégrant Sage, éditeurs de logiciels, spécialiste du marché des PME, en 1995, dans une fonction marketing.
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