L’utilité du marketing industriel
Connaissez-vous les « quick win »? Très à la mode en ce moment dans les milieux du numérique notamment, c’est un peu l’héritier de l’ancienne expression « faire du quick and dirty » assénée à un collaborateur trop appliqué à faire bien mais trop lent ou trop couteux. Cette dernière expression « Quick and Dirty » traduit bien la réalité du marketing aujourd’hui, parce qu’on réussit le second assez bien mais rarement le premier. Mais cela n’a pas que des inconvénients quand les deux son réussis. Et le marketing stratégique et industriel aide justement à mettre un produit sur orbite, même après avoir commencé « Quick and Dirty ».
Peu de produits à succès, sauf à réécrire l’histoire comme on se plait souvent à le faire dans la presse, sont le résultat d’une vision spontanée et aboutie. Passé l’étape initiale faite d’intuition et de débauche d’énergie commerciale, il a fallu consolider les bases, dépasser le stade de l’idée, développer l’usage, écouter pour accélérer et « caler » le produit sur son marché, maîtriser son offre et fuir les sirènes du marketing de supermarché (le produit qui sait tout faire, la vente à perte à un grand compte dans l’espoir d’une référence déterminante, la baisse drastique des prix pour inonder un marché). A un moment donné, il a fallu faire place à une démarche volontariste, rigoureuse voir difficile pour atteindre le succès puis le reproduire chaque fois que nécessaire. Cela revient à faire du marketing stratégique et industriel.
Peu d’entreprises, sauf dans les « success story » des journaux « business » revues à la façon de 1984 de Georges Orwel, n’ont pas connu le plafond de verre à un moment de leur existence. Une croissance atone malgré quelques fois une offre ou une technologie originale et prometteuse. Beaucoup d’entre elles ont essayé le fréquent renouvellement ou l’augmentation des ressources commerciales ou encore l’enrichissement jusqu’à l’engraissement du produit, mais sans significativement plus de succès. Pour dépasser cette étape elles ont dû d’abord comprendre les raisons de leurs croissance et succès passés, prendre conscience et formaliser leur forces et talents, les utiliser de façon pragmatique pour faire les bons choix, porter l’effort au bon endroit et reprendre le chemin de la croissance. Elles ont fait un exercice de réflexion stratégique, une composante du marketing industriel ou marketing de l’offre.
Et cela, elles l’ont fait le plus souvent sans recours aux ténors du conseil en stratégie financièrement et intellectuellement inaccessibles, un rien trop désincarnés…
[Les disciplines du Marketing Stratégique]
Le marketing stratégique et industriel n’est pas une affaire de mercenaire, il porte l’ADN de l’entreprise et, à la façon de Monsieur Jourdain, sans le savoir, il est fait par le fondateur au berceau de l’entreprise. Mais à maturité le domaine du marketing stratégique et industriel est pris en charge par des fonctions dédiées, le Chef de Marché ou Chef de Produit.
Ses attitudes, ses outils et tâches sont variées:
- Définition de la politique tarifaire: choisir entre modèles au forfait ou à la consommation, en une fois ou récurrent; vérifier qu’il y a bien création de valeur; identifier la valeur perçue par celui qui paie la facture; s’assurer de la viabilité économique pour l’entreprise.
- Choix des canaux de vente : choisir son modèle direct ou indirect et ses variantes (apporteur d’affaires, franchise, revendeur, intégrateur…) en fonction du marché (taille, maturité…); analyser les différents type de prescription et l’impact possible des relations publiques sur le marché.
- Analyse de la valeur créée sur toute la chaîne: analyser la valeur créée dans la chaîne complète, compris le canal de vente (direct, indirect, par accident ou porosité, objective, subjective…); identifier les ressorts ou pilotes de la valeur; décrire la chaîne de valeur (tous les intermédiaires, tous les bénéficiaires, toutes les natures d’intervention et tous les coûts, freins) pour identifier les points névralgiques, moteurs et freins.
- Segmentation de marché et positionnement de produit: trouver le segment de marché où le produit dans sa livrée standard couvre au moins 80% des besoins, ou inversement, caler le produit sur son marché naturel.
- Recherche des marchés « adjacents » par analogie pour étendre l’application d’un savoir faire: utilisation d’une même technologie le plus largement possible sur d’autres marchés avec une nouvelle promesse de valeur pour trouver des relais de croissance.
- « Mesure de l’innovation » ou du niveau d’usage de l’offre : adapter l’acte de vente selon qu’on est en face d’une invention sans encore d’usage ou d’un applicatif sur un marché mature, choisir les bons moyens de développer l’usage.
- Analyse de la concurrence: identifier la concurrence évidente et frontale, celle aussi qui est indirecte ou nouvelle ou encore potentielle.
- Identification des forces et de la légitimité (principes stratégiques, quelle est la vraie compétence de l’entreprise/PME?) de l’entreprise: se situer entre les deux extrêmes (maîtrise technologique versus aptitude commerciale et marketing à capter la valeur et l’amener vers l’utilisateur); trouver sa place légitime et sa promesse de valeur sans générer de déception clients.
- Communication d’influence: quels leviers de la communication d’influence pourraient servir (financement/fiscalité sur la chaîne de valeur versus environnement réglementaire créant un marché); utiliser la communication d’influence pour la croissance ou se protéger d’une menace.
- Etablir ou suivre le compte de résultat par produit (au moins prévisionnel): contrôler, justifier et calibrer l’investissement.
[Les désagréments que peut éviter un Marketing Stratégique]
Et voila, en développant un marketing stratégique, quelques erreurs courantes évitées:
- Baisser les prix en quête de volume (sans considération de la segmentation du marché ou du besoin de trésorerie) et baisser au final votre CA;
- Rendre le produit obèse (et ne jamais couper les fonctionnalités inutilisées) et détruire de la valeur par complexité générée pour l’utilisateur;
- Augmenter ou changer régulièrement les forces commerciales sans développer le CA et négliger les autres fonctions et outils;
- Trop de R&D ou trop de commercial, pas assez de Marketing ;
- Ne pas « challenger » l’intuition par une mise en œuvre rigoureuse et ne jamais savoir pourquoi cela marche ou pourquoi cela ne marche pas;
- Avancer au fil des « convictions » du board quelquefois acquises en tant que consommateur grand public sur un tout autre marché non comparable ;
- Penser, dire que le produit n’a pas de concurrent (nous, c’est pas pareil!) car s’il n’y en a pas , il n’a pas de marché non plus (en avoir est rassurant);
- Foncer sur la base installée avec un produit flambant neuf (qui n’a pas connu la baptême du feu du newbiz) et la transformer en autant de sites béta ;
- Appeler ensuite ses clients des partenaires (ils payent et ne plus ils font le travail) alors qu’ils veulent rester des clients (ils payent, c’est déjà ça);
- Croire que la création de valeur passe toujours par l’enrichissement fonctionnel ou a contrario confondre création de valeur et partage de valeur ;
- Augmenter les prix sans créer de valeur sur la chaîne (ne pas voir venir la désaffection des clients et développer des causes inflationnistes);
- Recruter un « journaliste ou ingénieur piquousé Gartner » (modernisme, presse, vision à 25 ans) en lieu et place d’un Chef de Marché (coordination, synergie, sens du résultat, sens du client) et resté au stade de la « bonne idée » et en changer régulièrement.
Ne faites plus l’économie du marketing stratégique et industriel! N’oubliez pas qu’il y a trois manières de se ruiner, disait le grand Rothschild: le jeu, les femmes et les ingénieurs. Les deux premières sont plus agréables mais la dernière est plus sûre. Mettez plutôt votre sort entre les mains un Chef de Marché!
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